INITIATION A LA TECHNOLOGIE DU TOURNE-DISQUE

 

INTRODUCTION :
Ce rapide tour d'horizon n'aura pour seul but que de vous initier à ce sujet très vaste qu'est la lecture par un tourne-disque d'un disque vinyle. Technique à la fois très simple et très complexe selon les performances que l'on recherche.
Il faut aussi souligner (l'histoire ne fait que se répéter) qu'on attribue l'invention du phonographe à l'américain Edison en 1877, alors que quelques mois auparavant, le français Charles Cros avait, par une lettre à l'Académie des Sciences, déposé ce procédé !..
Cette technologie a depuis déclanché bien des passions et de nombreux articles sur des revues anglo-saxonnes. Il faut comprendre qu'elle était alors le moyen le plus sophistiqué de reproduire un son de qualité, d'abord en Haute Fidélité, puis en stéréophonie. En un temps, elle s'est même frottée à des transmissions multicanaux en "quadriphonie" au moyen de différents moyens de codage, toujours à partir d'ondulation sur les 2 faces d'un sillon.
Sans grandes prétention, nous allons survoler différents aspects de cette technique qui pourront vous venir en aide, si vous ambitionnez de faire revivre de vieux équipements toujours capables de vous étonner.


PREAMBULE :
La gravure, à l'aide d'un burin sur une matière tendre défilant à vitesse constante, des vibrations de l'air a été la première et la plus simple manière d'enregistrer le son. Les plus évolués des disques actuels conservent ce principe de base.
Pour vous en convaincre, il vous suffit de vous munir d'une feuille de papier que vous pliez en cône. Du côté de la pointe, vous fixez une simple aiguille légèrement en biais. Vous maintenez le cône par la main de son côté évasé en prenant soin que l'aiguille soit verticale, pointe en bas. Sur un plateau de pick-up, tournant à vitesse convenable, il vous suffit de laisser glisser la pointe de l'aiguille dans les sillons pour entendre la musique au travers du cône en papier.
C'est pour cette raison que l'on appelle cette technique "analogique". Les ondulations provoquées par le son sur la matière, comme le montre notre expérience, sont le reflet exact des vibrations de l'air lors de l'enregistrement.
Bien-sur, depuis l'époque des premiers enregistrements mécaniques sur cylindre de cire, cette technique a évolué, en grande partie grâce à l'assistance de l'électricité, puis de l'électronique qui ont permis une amélioration de la qualité, de la durée des enregistrements et surtout une duplication en série pour permettre une plus grande diffusion des œuvres.
On est ainsi arrivé à un niveau de qualité exceptionnel du disque dont l'évidente démonstration fut le regain d'enregistrements dit "à gravure directe" pour lesquels on gravait directement du microphone au disque "mère", sans passer par un enregistrement magnétique, avec un gain exceptionnel de dynamique.


EVOLUTION DES TYPES DE GRAVURES

Avant qu'un standard soit définit par les "majors" de l'édition phonographique, on peut dire que tout a été techniquement tenté. Les premiers cylindres monophoniques furent gravés avec un burin, relié à un diaphragme auquel les sons imprimaient des variations verticales. Suite à l'invention de Berliner en 1888, le support prit la forme d'un disque, ce qui lui permettait d'être aisément dupliqué. On a aussi, en un temps, gravé des disques en commençant par le centre pour terminer par l'extérieur, ce qui était justifié par un niveau d'enregistrement plus élevé à la fin des œuvres, qui bénéficiaient ainsi d'une vitesse linéaire plus grande, profitable à la bande passante et à la discrimination.
Aboutissement conjoint de l'enregistrement magnétique et de l'électronique, le disque microsillon 33 tours 1/3 fut introduit par DECCA sur le marché Européen en 1950, puis 2 ans plus tard par E. M. I. qui ajouta le 45 tours.
Par rapport au 78 tours, le microsillon apporte deux qualités importantes. Une augmentation de la durée d'enregistrement par face portée à près de 20 minutes, et surtout une diminution du bruit de fond grâce à une vitesse linéaire réduite du diamant dans le sillon, conjointement à un codage à amplitude constante, augmentant ainsi considérablement le niveau des aigus à l'enregistrement pour le diminuer dans les mêmes proportions lors de la reproduction (courbe RIAA).
La qualité des résines constituant les disques a aussi évolué vers une diminution du bruit de lecture, complété par l'adjonction de lubrifiants antistatiques sur les disques.
Les disques stéréophoniques furent introduits à la fin des années 50, après que l'on ait normalisé la position des deux canaux entre différentes options : vertical et horizontal, selon DECCA ou à 45° gauche et droite pour Téléfunken. C'est ce dernier procédé qui l'emporta.
Pour obtenir à la fois une durée optimal, un bruit de fond minimum et une grande capacité de lecture de la pointe, on normalisa un système de codage qui permettait une gravure à amplitude constante : courbe RIAA, constituée de 3 constantes de temps 3180 µS, 318 µS et 75 µS.
Les burins graveur avaient un profil triangulaire et les premiers diamants pour les lire étaient coniques. D'ailleurs leur taille originellement normalisée à un diamètre de 25 Microns, fut rapidement ramenée à 18, 15, voire 12 Microns pour une meilleur définition vers le centre du disque. Cette différence de profils entre burin graveur et pointe lectrice causait une distorsion dite de pincement. Pour palier à cet effet, Philips mis au point la technique de gravure "Dynagroove" qui créait une distorsion compensatoire lors de la gravure pour tenir compte du diamètre de la pointe lors de la lecture.


LE LECTEUR PHONOGRAPHIQUE OU CELLULE

Les plus ordinaires, que l'on trouvait sur les électrophones, utilisaient l'énergie piézoélectrique procurée par la déformation d'un cristal. Leur niveau de sortie était élevé et procurait une tension directement proportionnelle à l'amplitude de la gravure. Elles permettaient d'utiliser directement une entrée haut niveau du préamplificateur.
Les plus performantes se rangent dans trois catégories différentes : aimant mobile, aimant induit (reluctance variable) et bobines mobiles. Ces trois types de cellules délivrent une relativement faible tension proportionnelle à la vitesse de déplacement du diamant. Leur niveau devra être amplifié selon une correction inverse à la courbe RIAA : c'est réalisé par un préampli phono.
- Cellule à aimant mobile. Rendue célèbre par Shure, cette cellule utilise l'énergie délivrée par le déplacement d'un barreau aimanté, situé à l'autre extrémité du tube porte diamant, entre deux bobines placées à 45°.
- Cellule à aimant induit ou reluctance variable. Utilisée par un grand nombre : ADC, Decca, Goldring, Grado, Dynavector, etc. Elle utilise le déplacement d'un élément en fer doux soumis à un champ magnétique extérieur entre deux bobines à 45°.
- Cellule à bobine mobile. Rendue célèbre par Ortofon, cette cellule utilise la très faible énergie créée par le déplacement de deux bobines dans un champs magnétique. Sa tension de sortie est encore plus faible et nécessite l'utilisation d'un transformateur d'adaptation ou d'un pré-préamplificateur pour atteindre le niveau de l'entrée phono. Le succès de ces cellules a incité quelques constructeurs à profiter de ce succès commercial en sortant des cellules à bobines mobiles haut niveau, qui ne représentent pas un grand intérêt (si ce n'est commercial) par rapport aux aimants mobiles ou induits.


LA FORME DES DIAMANTS
Pour suivre le plus intimement possible les méandres des sillons, les équipages mobiles des cellules ont réalisé des progrès spectaculaires. Leur masse tout d'abord qui a atteint des limites minimalistes pour une tension de sortie convenable. Leur compliance, entendez élasticité, a aussi permis de descendre à des forces d'appui de moins de 1g.
La taille des diamants a été elliptique, puis "fer de lance", et enfin d'une forme approchant celle du burin graveur.
L'angle de lecture, c'est à dire approximativement l'angle formé par le tube porte pointe avec le disque est passé de 15° à 20°.
C'est une des raisons pour laquelle vous devez porter une grande attention à ce que votre bras en position de lecture, avec la force d'appui préconisée, soit bien parallèle à la surface du disque, ainsi que la cellule.
La forme des diamants s'approchant de plus en plus de celle du burin graveur, la surface de contact épousa ainsi plus intimement les flancs du sillon, ce qui permit de revenir à des forces d'appui plus conséquentes sans détérioration de la matière et une plus grande insensibilité aux poussières.


LA PLATINE TOURNE DISQUE
Son rôle principal est de faire tourner un plateau sur lequel repose le disque le plus régulièrement possible. Ce plateau et son mécanisme d'entrainement doivent aussi présenter à la fois une inertie et une force suffisante pour ne pas être influencés par les forces de retenue présentées lors de fortes modulations. Cette rotation doit aussi être sans vibration parasite, donc sans bruit.
Elle doit aussi assurer une parfaite cohérence dynamique entre le plateau et le bras qu'elle supporte, car c'est l'axe de ce bras qui représente la référence mécanique, à partir de laquelle les vibrations du diamant seront transformées en énergie électrique..
Elle doit aussi être à la fois suffisamment suspendue pour ne pas être sensible aux vibrations en provenance de son support et suffisamment stable pour ne pas être gênée par les vibrations acoustiques générées par un fort niveau acoustique.


LE BRAS de PU
C'est un élément très important dont les caractéristiques devraient toujours être conjugués à celles de la cellule utilisée.
Dans notre culture ultra marketing d'aujourd'hui on a oublié certaines règles de base d'une association bras / cellule. Si pour une bonne linéarité aux fréquences aigues c'est l'association de l'inductance de la cellule conjugué à la capacité des câbles qui déterminent les performances optimums, pour les fréquences graves c'est la masse dynamique du bras conjugué à la compliance de la cellule qui détermineront la fréquence de résonance basse et par là même l'aptitude de l'ensemble à reproduire correctement ces fréquences. Cette fréquence devrait idéalement se situer aux environs de 6 Hz. Ainsi on pourra à la fois reproduire les plus basses fréquences et ne pas déplorer un déplacement intempestif du bras, nuisant à l'efficacité de la cellule.
La plupart des bras traditionnels sont montés sur un double pivot qui leur assure un déplacement vertical et horizontal, mais leur interdit un phénomène de torsion. Excepté les "unipivots" qui utilisent généralement un amortissant visqueux pour ne pas se "balancer".
Le rôle du bras est très important car il doit combiner plusieurs qualités antagonistes. Maintenir fermement la cellule en parfaite horizontalité avec le disque tout au long de son déplacement. Pouvoir se déplacer sans contrainte, guidé par le diamant tout en maintenant ce dernier au centre des bobines, que ce soit verticalement ou horizontalement. D'ou l'importance de combiner l'association bras / cellule pour obtenir une fréquence de résonance basse optimisée entre 5 et 15 Hz. Il est toujours possible d'abaisser la fréquence de résonance en rajoutant une masse entre cellule et coquille. Il n'est pas possible en revanche de remonter une fréquence de résonance sans changer soit la cellule, soit le bras pour des modèles plus légers, voire vers une cellule ou un diamant à compliance moindre.


LE REGLAGE HORIZONTAL DU BRAS
La plupart des bras de qualité permettent le montage universel de cellules et de nombreux réglages, dont en hauteur pour corriger l'angle de lecture.
Nous parlerons plutôt des bras "pré-montés" sur les platines haut de gamme, les bras achetés en kit possédant généralement des plans de montage précis.
Comme nous l'avons déjà évoqué, il est très important que la cellule, dans sa position de lecture, avec la bonne force d'appui, soit parfaitement horizontale avec le disque pour obtenir un angle de 20°, correspondant à l'angle de gravure. Il est aussi très important que ce soit à la bonne force d'appui conseillée, car cette force d'appui a une incidence sur l'angle de lecture qu'elle ouvre si la force est trop faible ou ferme si elle est trop élevée.
Pour obtenir une horizontalité parfaite, il faut jouer sur la hauteur du pivot du bras. Ce dernier se présente généralement sous la forme d'un cylindre pouvant coulisser verticalement et bloqué, dans une position choisie, par une vis latérale.


L'ANGLE DE LECTURE
Vous avez pu constater que les bras de PU ont tous un profil courbe qui permet de maintenir la cellule, tout au long de sa course, dans une position tangentielle par rapport au disque, pour se rapprocher le plus possible de la position du burin graveur et obtenir ainsi une parfaite phase entre les canaux gauches et droit. Mais pour que cela se réalise, il est très important que la géométrie de l'ensemble soit bien réglée.
C'est un des points stratégique du réglage performant d'une platine tourne-disque. Que ce soit, dans une moindre mesure sur une platine à bras tangentiel, ce réglage reste la clé du succès d'une parfaite lecture phonographique, particulièrement sur les derniers sillons près du centre du disque.
Selon les platines, il pourra se faire soit par un glissement avant arrière de la cellule dans la coquille, soit par un déplacement total du bras sur son support (bras SME).
Pour ajuster parfaitement cette géométrie, il existe un moyen très pratique qui peut être réalisé à l'aide d'une feuille de papier quadrillé petits carreaux (5mm). A l'intersection du quadrillage, vous percez un trou pour faire traverser l'axe central du plateau porte disque, bien précisément à cette intersection. A 6cm (12 carreaux) du centre de l'axe, et sur l'une des lignes traversant cet axe, faites un point de repère avec un stylo. Placez un vieux disque sur le plateau tourne-disque. Sur ce disque vous disposez la feuille percée en passant l'axe du plateau par le trou, puis vous faites pivoter l'ensemble de manière à faire reposer la pointe du diamant exactement sur la marque que vous avez faite à 6cm.
En observant la coquille porte cellule du dessus, celle-ci doit être parfaitement parallèle aux quadrillages de la feuille de papier. Si ce n'est pas le cas, il faut intervenir pour ajuster la position de la cellule.
Surtout, bien s'assurer lors du montage de la cellule dans la coquille de son parfait alignement. Il est important de toujours bien conserver la cellule dans l'axe de la coquille pour conserver la géométrie idéale du bras.


L'ANTISKATING OU CORRECTION DE LA FORCE CENTRIPEDE
C'est une force appliquée au bras de lecture en direction de l'extérieur du disque pour compenser la géométrie asymétrique du bras.
Ce réglage est le plus complexe et aussi le plus aléatoire, car il devrait prendre en compte l'influence du niveau de la modulation du disque, celle-ci intervenant d'une manière décisive sur le comportement horizontal du bras. C'est à ce niveau que se situe l'énorme avantage des platines à bras tangentiel pour lesquelles il n'a pas lieu d'être.
Quelques platines PU japonaises (JVC) avaient réalisé un antiskating électronique dont l'effet était asservi en fonction de la modulation. Cela tenait un peu de "l'usine à gaz" et est resté sans suite.
Dans la plupart des cas on utilise une valeur moyenne correspondant à la force d'appui et à la forme de taille du diamant. Parfois, sur des cellules équipées de stabilisateur / nettoyeur, il faut augmenter cette force de rappel.
Généralement, il est conseillé de s'en tenir aux valeurs préconisées par le constructeur du bras ou de la platine qui vous indique différents réglages en fonction du poids de lecture et de la taille du diamant.
Certaines modifications pourront être apportées à ces valeurs si vous constatez un manque de lisibilité d'un canal sur de fortes modulations en fin de disque : augmenter la force si le canal gauche décroche et vis et versa.
Si vous avez égaré ou perdu votre mode d'emploi et que vous voulez retrouver un bon réglage, il existe un moyen empirique bien que peu précis qui vous permettra toutefois de dégrossir une valeur approchante de ce réglage. Utilisez un disque possédant une importante surface vierge, dépourvue de sillon. Le disque en rotation, déposez délicatement le diamant sur cette partie et ajustez la force d'antiskating pour qu'elle compense parfaitement les forces afin que le bras ne se déplace pas latéralement. Multipliez la valeur obtenue par 1,5 pour un diamant conique et par 2 pour un diamant elliptique.
Ces valeurs de base devraient convenir dans la majorité des cas.


CONCLUSION
J'espère que ces quelques lignes intéresseront les quelques passionnés qui voudront ressortir leurs platines tourne-disque. Je les ai écrites sans prétention, avec sans doute des raccourcis ou des omissions, mais pour faire partager ce qui fut ma passion pendant de nombreuses années et surtout faire partager quelques "trucs" de cette culture abandonnée.
J'ai encore la chance de posséder une excellente platine tourne-disque des années 80, et je n'ai jamais pu me résoudre à me séparer de ma collection de vinyles.
A l'époque de Phonophone, je m'étais passionné pour la conception des préamplis RIAA et des pré-préamplis qui sont peut-être la partie la plus délicate de toute la chaîne audio en raison des importantes modifications à apporter pour la réalisation de la courbe RIAA dont la correction atteint -15 dB dans l'aigu et +15 dB dans le grave.
Il m'arrive encore d'écouter un vinyle dont je possède l'équivalent CD, et même parfois de m'amuser à tromper des auditeurs de passage car s'il n'y avait pas les bruits de surfaces, avec une bonne platine il serait difficile de reconnaître l'un de l'autre.

Jean-Claude Tornior