La pure technologie permet-elle de forcer les lois de l'acoustique ?


Du haut de mes années passées à la recherche de la "vérité" sonore, je jetais un regard sur l'évolution des différentes techniques et l'état de l'offre réservée aux amateurs de reproduction musicale.


Il est loin le temps des pionniers de la reproduction musicale qui "bricolaient" des membranes en carton mues par une bobine dans un champs magnétique. Il était pourtant étonnant de voir les résultats obtenus par ces bricolages de génie, sortes d'usines à gaz d'une technologie empirique dans laquelle l'esthétique n'avait que peu à redire.


Les platines tourne-disque étaient le privilège de quelques spécialistes qui se contentaient de réaliser un plateau isolé des vibrations et tournant à la vitesse la plus régulière possible : Clément, Thorens, Garrard, Lenco, Connoisseur, etc.
Certains d'entre eux s'essayaient aussi à créer leur propre bras de manière à fournir un produit fini. Le bras, privilège des hauts de gamme, était dans ce cas vendu séparément avec des arguments techniques attrayants : pivots sur "couteaux" pour SME, ou unipivot suspendu par répulsion magnétique avec amortissement par huile silicone pour Decca, etc.
La cellule de pick up restait une affaire de spécialiste avec Ortofon, Goldring, General Electric, Pickering, Shure, Stanton, ADC, puis l'arrivée en force des japonais avec Audiotechnica, Supex, Dynavector, etc.
On restait encore dans une certaine mesure et posséder une Garrard 401 restait déjà un luxe délirant avec des mesure de bruit de fond (rumble) exceptionnel. On n'en était pas arrivé à la démesure dans le poids des plateaux pouvant atteindre l'ordre de 5 à 10 Kg aujourd'hui et des mesures souvent inférieures. Mais qui aujourd'hui s'amuserait à mesurer le bruit de fond d'une platine.


Aujourd'hui la platine TD revient à la mode avec une certaine nostalgie d'un temps que l'on regrette avec la patience du rituel du nettoyage du disque et la magie du diamant déposé sur le disque.
On peut rester circonspect devant cet engouement vintage, mais j'apporterai un témoignage vécu en disant qu'au paroxisme des technologies Tourne disque et Lecteur de CD, les résultats se rejoignent. Sauf qu'il est plus difficile et plus onéreux à obtenir avec une platine tourne disque qu'avec un lecteur CD.
Le point faible mais aussi une partie du charme de la platine TD se situant dans le grave, ou le son propre de son équipage mobile bras-cellule se combine avec une certaine microphonie de l'ensemble pour envelopper le message musical d'une certaine chaleur.
Le lecteur de CD est, sauf déficience de sa partie analogique, plus intègre dans la restitution du grave, car il n'a pas la même sensibilité aux vibrations ambiantes pour différentes raisons. Il est aussi plus cohérent dans la restitution des médiums par une bande passante rigoureuse sur les deux canaux.
Dans une cellule de PU on mesurait la bande passante sur le canal gauche (flanc extérieur du sillon) et non sur le canal droit généralement creusé dans le médium. Dans un lointain passé professionnel, j'ai beaucoup mesuré de cellules de PU à l'aide du disque B&K (non codé RIAA) synchronisé sur le traceur.
Il est aussi vrai qu'il a fallut un certain temps au CD pour atteindre sa majorité technique grâce à des procédés techniques tels le Super-Bit-Mapping de chez Sony entre autre et perdre une partie de son bruit d'échantillonnage sur de fortes modulation lors de sa lecture.


Les amplificateurs hi-fi ont subit aussi différentes périodes selon des modes imposées par les technologies disponibles : l'amplification à tubes, l'avènement des semi-conducteurs au germanium (très courte période) puis au silicium, les Mos-Fet en puissance, les circuits opérationnels (généralisation du différentiel d'entrée) et enfin le numérique avec les convertisseurs de puissance..
Les contraintes commerciales ont toujours présenté les nouvelles technologies comme supérieures aux anciennes et ont fabriqué des arguments comme la faible distorsion pour étayer les différentes évolutions. Avec un certain recul, il est possible de s'apercevoir que ce n'est pas toujours vrai.
Dans notre science, mais ne devrait-on pas plutôt parler d'art, tous les efforts sont portés pour nous restituer des vibrations sonores dont le but est d'être perçu par notre oreille, ou plutôt notre système auditif car l'oreille n'en est qu'une partie, comme vraisemblable pour correspondre à nos trois capteurs principaux définissant l'espace, l'intelligibilité et la direction.
Notre cerveau, partie prépondérante de ce système qui permet à des "vieux" comme moi de discriminer encore les différents sons malgré une surdité médicale officielle, prend en compte certains critères impulsionnels d'une grande subtilité dont la plupart des fabricants d'amplificateurs actuels n'ont pas la moindre idée.
Un certain Matti Otala à une certaine époque avait mis en évidence le phénomène de la distorsion d'intermodulation transitoire. Difficile à comprendre cette théorie a été plus utilisée à des fins commerciales qu'exploitée pleinement. Pourtant, cette distorsion d'intermodulation transitoire est sans doute l'une des plus vraisemblable explication de la musicalité des amplificateurs à tubes.
En effet dans un amplificateur à tubes les tensions d'alimentation dépassent généralement les 250 V et se retrouvent à plus de 150 V entre cathode et anode du tube. Comme les signaux à amplifier sont de l'ordre d'une dizaine de Volts, l'amplification se situe au centre d'une courbe (la plus droite possible) loin d'un éventuel écrêtage. Il n'est besoin que de légères contre-réactions locales et d'une tout aussi légère contre-réaction de boucle pour linéariser et étendre la courbe de réponse limitée par le transformateur de sortie. Sur un amplificateur à tubes il est très difficile voire impossible d'utiliser une forte contre-réaction sous peine d'instabilité.
Sur un amplificateur à semi-conducteurs, le bruit de fond des jonctions croit avec la tension d'alimentation. Le choix de la valeur de cette tension reste liée au niveau de bruit de fond et de la puissance recherchés.
La grande stabilité des circuits à semi-conducteurs permet des circuits dit "différentiels" dans lesquels un comparateur d'entrée (entrées + et - ) permet de corriger en temps réel la correspondance exacte du signal de sortie par rapport au signal d'entrée. Le signal à amplifier est appliqué à l'entrée +, si le signal de sortie est appliqué intégralement à l'entrée -, le gain sera de 1. Si on atténue ce signal de sortie appliqué à l'entrée -, le gain va augmenter en proportion. Ce procédé a sans doute beaucoup de succès car il a présidé à la réalisation des circuits opérationnels, largement utilisés dans l'industrie entre autre pour l'asservissement et la robotique en raison des faibles taux de distorsion obtenus.
Le problème en audio, où les régimes impulsionnels aléatoires sont importants pour la qualité de l'interface psychoacoustique est que ces circuits basés sur un différentiel ont un gain en "boucle ouverte" pouvant atteindre 1000 et plus. Si l'on prend en compte le temps de propagation dans la boucle freiné par les incontournables capacités parasites, le signal d'entrée (multiplié localement par le gain de 1000) sera écrêté avant d'effectuer la correction sur l'entrée -. Ainsi les larges qualités d'un circuit basé sur un différentiel sont largement entachées par des montées en "cisaillement" que l'on masque par des circuits anti-oscillation. D'où de piètres résultats en distorsion d'intermodulation transitoire qui restituent un son qui avec certaines enceintes très impulsives peut paraître contraint sec et sans respiration. Mais nous y reviendrons à propos des enceintes acoustiques.
Il est aussi possible de reproduire un son proche de celui des amplificateurs à tubes avec des semi-conducteurs. Il faut pour cela augmenter la tension d'alimentation et rester dans des gains locaux raisonnables pour lesquels la tension a amplifier multipliée par le gain de l'étage n'atteigne pas la valeur de la tension d'alimentation. Il est encore possible de largement obtenir de meilleurs résultats qu'avec un transformateur de sortie en utilisant des transistors bipolaires avec une simple contre réaction locale, ce que nous avons réalisé sur une série spéciale d'Atoll IN100, pour nos enceintes JCT Heritage.


L'évolution de fabrication des haut-parleurs a aussi grandement influé sur celui des enceintes acoustiques.
Les haut-parleurs ont évolué vers des moteurs de plus en plus puissants et des membranes de plus en plus légères et rigides, grâce à de nouveaux matériaux composites.
Les premiers haut-parleurs, dont le cône était réalisé en papier, nécessitaient une charge complexe et adaptée pour "charger" cette membrane que l'on excitait par le moteur mais dont le pourtour restait relativement tributaire des pressions acoustiques de la charge. Ce fut une génération de véritables luthiers de l'enceinte acoustique qui virent le jour et dont la France peut s'enorgueillir : Joseph LEON, Georges CABASSE, André CHARLIN, GOGNY, Michel VISAN, etc. Des procédés de charge alliant l'ingéniosité au système D virent le jour : résonateurs d'Heinmoltz, filtres acoustiques, RJ, bass-reflex, labyrinthe, etc.
Ce fut l'évolution des amplis tel que nous en avons parlé précédemment qui a favorisé l'évolution des haut-parleurs de différentes manières.
Tout d'abord par la montée en puissance qui a nécessité des bobines de HP résistant à la chaleur sur des supports aluminium ou kapton et une augmentation de leur diamètre.
Des membranes plus rigides pour améliorer le couplage de cette puissance à l'air.
Des suspensions plus souples permettant de grandes élongations.
Des inductions magnétiques élevées pour transformer l'intensité électrique en force.
Tous ces éléments ont concouru à faire du haut-parleur moderne "un piston travaillant en force", pour être asservi par un amplificateur puissant et fortement contre-réactionné, à la manière de la robotique industrielle.
Il est facile de concevoir que dans ces conditions la charge acoustique du haut-parleur peut être réduite à sa plus simple expression par une cavité, amortie ou pas et éventuellement décompressée par un évent. C'est ce dont les "nouveaux" constructeurs ne se privent pas, bafouant ainsi les grandes règles établies par les anciens, au profit de "design" suggestifs et aux matériaux nobles et valorisants. Bon nombre d'enceintes modernes sont d'abord dessinées selon un concept marketing novateur et suggestif pour répondre à certains critères récurants du Monde Audiophile avant d'aborder la réalisation technique. C'est un peu mettre la charrue avant les boeufs, mais notre monde de consommation n'est-il pas ainsi.
C'est sans doute pour cette raison que beaucoup de mélomanes se tournent vers certains éléments "vintage" avec beaucoup de plaisir.
D'autres constructeurs essaient de refaire des éléments "à l'ancienne" d'une manière très respectable et dans lesquels la musique s'épanouit.


Si je peux donc me permettre un conseil pratique, j'insisterai sur l'attention que je conseille de porter à l'association amplificateur / enceintes. Des enceintes modernes à haut-parleurs kevlar ou carbone demanderont un amplificateur à fort amortissement mais délivreront un son parfois brillant mais sans grandes nuances. Des enceintes de conception plus classiques avec des haut-parleurs papier, souvent recouverts d'enduits ou encore des modèles à pavillon haut rendement, procureront avec des amplificateurs à tubes ou même à transistor de conception à faible amortissement (c'est rare, mais il faut chercher) une restitution musicale toute en nuance et en subtilité.


D'une manière qui paraîtra peut-être un peu prétentieuse, j'ai essayé de résumer "en off" ce que j'ai retenu d'une passion qui a guidé ma vie. Pour satisfaire cette passion, j'ai commencé par les haut-parleurs, puis je me suis aperçu que leur résultat ne pouvait pas être dissocié de l'amplificateur qui les alimentait : alors je me suis mis à étudier les amplis. Je suis remonté à la cellule de PU avec des modifications sur les bras et les équipages mobiles, puis le lecteur CD est arrivé, dont les premiers résultats étaient décevants mais où l'on décelait un potentiel. Le premier lecteur de CD français fut donc un Phonophone Discamp 3 sorti en 1984, sur une base Philips.
Depuis près de 20 ans je me suis consacré à l'étude des câbles pour lesquels mes différentes compétences m'ont été d'une grande utilité, car comment évaluer un câble si ce qui l'entoure n'est pas crédible. Je dirais même aujourd'hui que je réalise de bons câbles car j'ai réussi à construire un environnement de laboratoire qui par sa transparence permet de juger de leur intégrité.

Jean-Claude Tornior